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Peut-on faire la paix au Moyen-Orient en résidant à Genève?

C’est à Genève que vivent les envoyés spéciaux de l’ONU pour la Syrie, le Yémen et la Libye, celui-ci venant de démissionner pour ne pas avoir à résider à Tripoli.

Jan Kubis, envoyé spécial de l’ONU pour la Libye de janvier à novembre 2021 (Pool via Reuters)

La conférence internationale sur la Libye, qui s’est tenue le mois dernier à Paris, a consacré l’importance des prochaines élections générales, d’abord présidentielles, le 24 décembre, puis législatives. Cette conférence a « salué le rôle des Nations Unies » pour « promouvoir un dialogue défini et mené par les Libyens de façon inclusive ». Seule l’ONU peut en effet garantir un scrutin que de nombreuses milices menacent déjà de perturber et plusieurs régions de boycotter. Il revient en outre à l’ONU de superviser le retrait des troupes étrangères hors d’un pays où la Russie et la Turquie se sont livré une véritable « guerre de mercenaires ». Le choc n’en a été que plus grand lorsque l’envoyé spécial de l’ONU, Jan Kubis, a récemment annoncé sa démission. Car les différends diplomatiques mis en avant de manière floue par Kubis cachent mal des raisons bien plus prosaïques.

GENEVE BIEN PLUS CONFORTABLE QUE TRIPOLI

Kubis a été ministre des Affaires étrangères de Slovaquie, de 2006 à 2009, avant d’enchaîner les postes d’envoyé spécial de l’ONU, en Afghanistan, de 2011 à 2015, en Irak, de 2015 à 2018, puis au Liban, de 2019 jusqu’à sa nomination en Libye au début de cette année. Alors qu’il résidait à Kaboul, Bagdad et Beyrouth dans ses postes antérieurs, c’est à Genève que Kubis a pris ses fonctions pour la Libye. Il a mis en avant pour se justifier les conditions de sécurité, alors même qu’un cessez-le-feu prévaut depuis plus d’un an en Libye. Son prédécesseur Ghassan Salamé avait au contraire insisté pour s’installer avec sa mission en Libye, un engagement de terrain qui avait permis à l’ONU de nouer un dialogue sans précédent entre belligérants. Mais Kubis n’avait aucune intention de prendre ses quartiers en Libye et a préféré démissionner plutôt que de quitter Genève.

Il est vrai que, aux yeux de bien des hauts fonctionnaires internationaux, les rives du lac Léman offrent plus d’attraits que celles du golfe de Syrte. Mais que Kubis ait choisi de préférer son confort helvétique aux aléas de sa mission en dit long sur le divorce entre une certaine bureaucratie de l’ONU et la réalité des conflits qu’elle prétend traiter. Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a choisi de combler le vide institutionnel en nommant « conseillère spéciale », en poste à Tripoli, une diplomate américaine, Stephanie Williams. Elle avait déjà assuré, mais depuis Genève, l’interim entre Salamé et Kubis à la tête de la mission de l’ONU en Libye. Mais elle n’aura pas l’autorité d’un chef de mission de plein exercice, qui doit recevoir l’aval du Conseil de sécurité, ce qui affaiblira d’autant l’ONU dans le cas, très prévisible, de contestations du processus électoral en Libye.

LA SYRIE ET LE YEMEN EGALEMENT GERES DEPUIS GENEVE

Kubis pensait à l’évidence bénéficier des mêmes facilités que les envoyés spéciaux de l’ONU en Syrie et au Yémen, qui ont tous résidé à Genève. Geir Pedersen, le diplomate norvégien à la tête de la mission pour la Syrie depuis 2019, a payé le prix de la marginalisation de l’ONU par la Russie, la Turquie et l’Iran, partenaires d’un processus tripartite de gestion de la crise syrienne. Pedersen en a été quitte pour se concentrer sur les discussions entre gouvernement et opposition sur une nouvelle constitution pour la Syrie. Mais même cette ambition minimale vient d’essuyer une « grave déception » avec l’échec des négociations menées par Pedersen à Genève. Quant au diplomate suédois Hans Grundberg, envoyé spécial de l’ONU au Yémen depuis août dernier, il dirigeait précédemment la délégation de l’Union européenne au Yémen. Il était à ce titre basé en Jordanie, avant de continuer à suivre le Yémen pour l’ONU, mais cette fois depuis la Suisse. Avant même son premier déplacement au Yémen en tant que représentant de l’ONU, Grundberg a choisi d’effectuer deux visites officielles en Arabie saoudite.

Les questions de sécurité doivent évidemment être prises très au sérieux: en 2003, l’envoyé spécial de l’ONU en Irak, Sergio Vieria de Mello, avait péri, avec 22 autres personnes, dans un attentat jihadiste contre les bureaux de l’organisation internationale à Bagdad. Il faut cependant souligner que Salamé, du fait même de son expérience comme adjoint de Vieria de Mello en Irak, a tiré toutes les leçons de cette tragédie lors de sa propre mission, de 2017 à 2020, à la tête de l’ONU en Libye. L’alternative n’est donc pas entre une ONU exposée en Libye et une ONU qui ne le serait pas à Genève, mais entre une ONU effectivement engagée sur le théâtre libyen et une ONU qui prétend gérer cette crise multiforme depuis les rives du lac Léman. Alors que les prochaines élections libyennes sont chargées d’une telle signification politique, il est regrettable que des considérations de confort personnel aient primé dans l’implantation de l’envoyé spécial de l’ONU pour ce pays.

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