L’Ambassadeur Bertrand Besancenot analyse les enjeux de l’année 2023 pour l’Iran, la Turquie et Israël. Leurs positions stratégiques au Moyen-Orient et les changements politiques et sociaux que ces trois pays connaissent cette année peuvent avoir des conséquences sur l’équilibre géopolitique de la région.
Trois grands dossiers seront à suivre de près cette année au Moyen-Orient, car ils pourraient redessiner l’équilibre des forces dans la région. Outre les évolutions diplomatiques dans les pays du Golfe, trois grands pays peuvent connaître des changements majeurs en 2023 : l’Iran, la Turquie et Israël.
Iran
La révolte qui a débuté en septembre 2022 se poursuit aujourd’hui, malgré la répression violente du régime des mollahs. On recense plus de quatre cent cinquante morts, sans parler des arrestations, de la torture et des condamnations à mort. Il y a désormais une rupture profonde entre la jeunesse et le pouvoir théocratique, qui a atteint un point de non-retour. Les manifestants sont déterminés, mais les autorités n’entendent pas se compromettre et feront tout pour étouffer la révolte. En effet, le gouvernement est aux mains des éléments les plus radicaux et les Gardiens de la Révolution auraient trop à perdre – y compris sur le plan économique – s’ils acceptaient une ouverture du régime. Jusqu’où peut aller le mouvement ? Il est difficile de le prévoir, mais le système est sérieusement ébranlé.
Quelles pourraient être les répercussions de cette crise sur les autres pays de la région ? Il est clair qu’une aggravation de la situation aurait un impact sur l’influence de Téhéran en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen, car la fragilisation du régime islamique diminuerait sa capacité à financer et armer les milices à sa solde dans ces pays.
Par ailleurs, l’emprise régionale de Téhéran est également liée à l’issue de la négociation de l’accord nucléaire à Vienne. Celui-ci est mal parti et il est probable que les grandes puissances et les pays de la région réfléchissent aux alternatives possibles : résignation à vivre avec un état du seuil nucléaire supplémentaire, tout en gardant l’option militaire ouverte (ce qui serait un facteur d’instabilité) ? Négociation d’un nouvel accord nucléaire, mais sur quelle base ? Élaboration d’un accord régional de sécurité, difficilement réalisable dans l’atmosphère actuelle ? À ce stade, il serait hasardeux de faire des prévisions, mais il est légitime de réfléchir d’ores et déjà aux différentes options.
Turquie
L’élection présidentielle prévue le 18 juin 2023 pourrait également changer le visage du pays, en raison de la crise économique et du fait que le président Erdogan n’est pas assuré de remporter ce scrutin décisif. L’inflation a, en effet, atteint 85 % en 2022 et une partie de l’électorat AKP – Parti de la Justice et du Développement, le parti d’Erdogan – a désormais des réserves à l’égard du Président. Cela explique que dans les sondages, l’opposition ait le vent en poupe, avec comme candidats crédibles les maires d’Istanbul et d’Ankara.
Cela mettrait fin à vingt ans de pouvoir d’Erdogan et aurait certainement un impact sur la politique régionale de la Turquie, caractérisée par une agressivité certaine et un équilibrisme qui inquiète ses alliés occidentaux. Néanmoins, la partie n’est pas encore jouée…
Israël
L’année 2023 pourrait être marquée par de grands changements en Israël. Le pays est dirigé depuis le 29 décembre 2022 par un gouvernement d’ultra-orthodoxes et de membres de partis d’extrême-droite. Formé par Benjamin Netanyahou, il comporte notamment une personnalité comme Ben Gvir, qui est considéré comme suprématiste, raciste, homophobe et qui a eu des démêlés avec la justice. On peut donc s’attendre à un tour de vis à l’égard des Palestiniens de Cisjordanie et à la réduction des pouvoirs de la Cour Suprême, seul véritable contrepoids à l’exécutif, ce qui pourrait détériorer le système démocratique d’Israël, déjà fragile.
Sur le plan extérieur, la ligne ferme à l’égard de l’Iran devrait être maintenue. La question principale demeure, cependant, la longévité de ce gouvernement, étant donné les fortes réactions d’opposition qu’il rencontre déjà.
En somme, l’année 2023 s’annonce lourde d’incertitudes pour un Moyen-Orient en crise depuis de nombreuses années. Or, l’instabilité dans les trois pays évoqués ne peut qu’ajouter aux risques de confrontation dans la région, étant donné leur rôle majeur. Dans ce contexte inquiétant, on ne peut que relever l’exception que constituent les monarchies du Golfe, qui apparaissent comme un îlot de stabilité et de développement au milieu d’une mer agitée. ♦