
Livre. Quand, le 20 janvier, le nouveau président américain Joe Biden s’installera à la Maison Blanche, les crises du Moyen-Orient – à commencer par le bras de fer sur le nucléaire iranien – seront sans surprise en haut de la pile de ses dossiers à traiter. « A défaut d’être le centre du monde – sauf peut-être durant l’Antiquité – le Moyen-Orient n’a cessé d’être au cœur de son agenda », relève Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales et professeur émérite à Sciences Po Paris, dans le propos liminaire de l’ouvrage collectif dirigé avec Dominique Vidal.
Excellente mise en perspective mêlant l’histoire et le choc des mémoires, l’ouvrage analyse notamment les moments de bascule – telle la révolution iranienne de 1979 – et met aussi en exergue les nouveaux enjeux avec les contributions de bon nombre des meilleurs spécialistes de cette région hautement inflammable comme Henry Laurens, Hamit Bozarslan, Jean-Paul Chagnollaud, Agnès Levallois, Bernard Hourcade, Ahmet Insel, Myriam Benraad et tant d’autres.
Le Moyen-Orient reste une notion assez floue, y compris géographiquement, entre un Proche-Orient qu’il tend à intégrer en son sein et un Extrême-Orient devenu le principal pôle de la croissance et des tensions dans le monde. La région ne représente plus l’enjeu stratégique qu’elle fut, notamment dans la seconde moitié du XXe siècle, pour ses ressources en hydrocarbures. Les Etats-Unis tendent désormais à s’en dégager mais la zone n’en reste pas moins un foyer de crise majeur aux portes de l’Europe.
L’écran de fumée de l’anti-occidentalisme
De nouvelles puissances régionales « revanchistes » s’affirment, à commencer par l’Iran, l’Arabie saoudite de Mohammed Ben Salman et la Turquie d’un Recep Tayyip Erdogan prisonnier de son hubris. Des Etats longtemps piliers de l’ordre régional se sont en revanche effondrés, ravagés par les guerres civiles, comme la Syrie et l’Irak. D’autres, comme l’Egypte, ont perdu le leadership sur le monde arabe. Le conflit israélo-palestinien, central depuis l’après-guerre, est devenu de plus en plus périphérique.
La montée en puissance de l’islamisme politique et du djihadisme, l’irruption des sociétés civiles, l’échec des « printemps arabes » ont encore un peu plus compliqué la donne sur fond de rejet d’un Occident honni. « Cet anti-occidentalisme constitue un écran de fumée occultant d’ailleurs maladroitement la responsabilité des détenteurs du pouvoir, des élites et, plus généralement, des sociétés arabo-musulmanes dans leur propre tragédie », relève l’historien et sociologue Hamit Bozarslan, rappelant que, tout au long de l’histoire, « les guerres les plus traumatiques du monde musulman furent non pas externes mais bien internes ». Cela avait commencé avec la « fitna », la « discorde », juste après la mort de Mahomet. Cela reste vrai aujourd’hui. En témoigne le cimetière à ciel ouvert qu’est devenue la Syrie.
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