C’est, à coup sûr, un immense soulagement pour Agnès Buzyn. Dans une décision rendue vendredi 20 janvier, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation – sa formation la plus solennelle – annule sa mise en examen par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR), pour « mise en danger d’autrui » à la suite de la crise sanitaire liée au Covid-19. La plus haute juridiction annule également « les auditions des membres du gouvernement menées par un ou deux membres de la commission d’instruction et non par ses trois membres ».
La principale question de droit qui était posée par le recours de Mme Buzyn était de savoir si une loi ou un règlement imposait à l’ancienne ministre de la santé, dans l’exercice de ses fonctions, une obligation particulière de prudence ou de sécurité. La Cour de cassation a répondu par la négative et a estimé que « le délit de mise en danger d’autrui ne peut être reproché à une personne que si une loi ou un règlement lui impose une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Cette obligation doit être objective, immédiatement perceptible et clairement applicable ». Et de préciser : « Or, aucun des textes auxquels s’est référée la commission d’instruction pour mettre en examen l’ancienne ministre de la santé ne prévoit d’obligation particulière de prudence ou de sécurité. »
Cette annulation de la mise en examen a pour effet d’attribuer automatiquement à Agnès Buzyn le statut de « témoin assisté ». Elle reste donc mise en cause pour « abstention volontaire de combattre un sinistre » mais il ne lui est plus directement reproché d’infraction. La Cour précise : « En l’état, l’ancienne ministre ne peut pas être renvoyée devant la CJR pour y être jugée. » Cependant, des poursuites sont toujours possibles, mais pas pour « mise en danger d’autrui ».
Risques « très faibles » de propagation
Agnès Buzyn avait été mise en examen en septembre 2021 par la CJR, seule instance habilitée à juger des ministres pour des faits accomplis durant leur mandat. Elle était, jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation, la seule responsable politique mise en examen par la CJR. Ainsi, l’ancien premier ministre, Edouard Philippe, avait été discrètement auditionné le 18 octobre 2022 par cette même juridiction, et placé sous le statut plus favorable de témoin assisté, échappant à la mise en examen. Olivier Véran, également ancien ministre de la santé et désormais porte-parole du gouvernement, est aussi visé par cette instruction mais n’a pas encore été entendu par les magistrats.
Au début de l’année 2020, alors que les premiers signes de la crise du Covid arrivaient de Chine, Mme Buzyn occupait un rôle central, à la tête du ministère de la santé depuis mai 2017. Fin janvier 2020, l’hématologue de formation avait ainsi pris la parole à l’Elysée pour assurer que « les risques de propagation du coronavirus dans la population [étaient] très faibles », précisant tout de même que ce constat pouvait « évoluer ». Quelques jours après, à la mi-février, elle était remplacée par M. Véran, à la suite de sa décision de quitter le gouvernement pour briguer la Mairie de Paris, prenant la suite de Benjamin Griveaux, contraint de se retirer après la diffusion d’une vidéo intime.
Dans cette campagne électorale étrange, où le confinement s’était intercalé entre le premier et le second tour, laissant un vide de trois mois, elle n’avait jamais réussi à s’imposer et avait semblé totalement étrangère à l’enjeu politique du scrutin, comme si elle s’en désintéressait. Elle avait fini en troisième position.
Après cette défaite, elle s’est retirée de la vie politique. Elle est redevenue d’abord médecin à l’hôpital militaire de Percy, dans les Hauts-de-Seine, en renfort dans l’unité Covid-19. Puis, début 2021, Agnès Buzyn a été nommée à l’Organisation mondiale de la santé. Enfin, depuis septembre 2022, elle est conseillère maître à la Cour des comptes, une fonction de contrôle, pour un mandat de cinq ans non renouvelable.
Regrets sur la gestion gouvernementale
Très vite, Mme Buzyn exprimera des regrets sur la gestion gouvernementale de la crise du Covid. Dès mars 2020, elle se confie au Monde : « Je pense que j’ai vu la première ce qui se passait en Chine : le 20 décembre [2019], un blog anglophone détaillait des pneumopathies étranges. J’ai alerté le directeur général de la santé. Le 11 janvier, j’ai envoyé un message au président [de la République] sur la situation. Le 30 janvier, j’ai averti Edouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Je rongeais mon frein. »
Sur la crise sanitaire, elle a tenu un journal, un document de 600 pages dont Le Monde a publié des extraits en septembre 2022. Elle revient alors dans nos colonnes sur son audition devant la commission d’instruction de la CJR : « Nous sommes le seul pays au monde à mettre en examen des ministres pour la gestion d’une pandémie mondiale. J’ai apporté toutes les preuves qu’on a anticipé et géré au mieux, en vain. (…) Imaginer qu’ils aient pu penser une seule seconde que je n’ai pas mis toute mon énergie à essayer d’éviter le pire, c’est insupportable. » La CJR a lancé des investigations après plusieurs plaintes dénonçant notamment le manque d’équipements de protection pour les soignants et la population, ou encore les errements sur la nécessité ou non de porter des masques. Sollicitée par Le Monde vendredi, Mme Buzyn n’a pas réagi à la décision de la Cour de cassation.