Le Reporter.Net

L'actualité 24/24

L'actualité 24/24

in

Arya Rajendran, 21 ans, maire d’une ville de 750.000 habitants : “Le Kerala est un laboratoire d’idées pour le reste de l’Inde” – Marianne

Est-ce le début d’une nouvelle ère pour les jeunes femmes indiennes ? Le 28 décembre 2020, le conseil municipal de Thiruvananthapuram, capitale de presque 750.000 habitants de l’État du Kerala, au sud du littoral indien, a intronisé Arya Rajendran comme maire de la ville. Cette étudiante de 21 ans, diplômée d’une licence de mathématique est également membre du comité régional du Parti communiste indien (marxiste) (CPI(M)) devient la plus jeune maire que le pays n’ait jamais connu. Pourtant, dans l’Inde de l’ultranationaliste Narendra Modi, où la religion hindoue et le système de caste étouffent les femmes, cette élection peut paraître surprenante.

Afin de mieux comprendre la situation particulière du Kerala et comment une jeune femme communiste se retrouve à diriger une ville de 750.000 âmes, Marianne a échangé avec Ingrid Therwath, politiste et spécialiste de l’Inde.

Marianne : Arya Rajendran vient d’être élue, à 21 ans et sous les couleurs communistes, maire de la capitale du Kerala, est-ce une surprise ?

Ingrid Therwath : Pas du tout. Pour commencer le CPI(M) est très régulièrement au pouvoir dans le Kerala depuis 1957, il en domine la vie politique. Rappelons aussi que l’Inde est un État fédéral, les États ont une grande autonomie avec une vie politique propre. Certains ont une trajectoire particulière au sein de cette fédération, c’est le cas du Kerala mais aussi du Bengale Occidental où le CPI(M) a une présence importante. Les dernières élections ont renouvelé l’assemblée locale du Kerala. La coalition de gauche menée par le CPI(M) est arrivée en tête et a remporté la mairie de Thiruvananthapuram, il n’est pas surprenant qu’elle en nomme le maire ou la mairesse.

Qui est donc cette jeune femme qui va diriger Thiruvananthapuram ?

Arya Rajendran est issue d’une famille communiste. Sa mère était dans les assurances et son père travaille comme électricien. Rajendran se définit elle-même comme une fille de travailleurs. De plus, ses parents étaient tous les deux membres du CPI(M) (Parti communiste d’Inde marxiste). Mais elle est également très engagée. Elle est la cheffe de la branche locale de la section jeunesse du parti communiste et a su se démarquer, notamment avec le Covid-19. Elle a organisé des grands sondages pour récolter l’avis des jeunes sur l’enseignement à distance, s’est penchée sur la santé mentale des étudiants et a lancé des initiatives de solidarité, notamment via des banques alimentaires. C’est cette activité et sa personnalité qui expliquent que le parti l’ait choisi. D’ailleurs, ce dernier mise clairement sur la jeunesse et les femmes. Au Kerala, il prône l’égalité femme-homme ,donc mettre Arya Rajendran en avant est logique. Il faut également rappeler que le maire sortant fut lui-même le plus jeune maire de la ville. L’idée de fond consiste surtout à asseoir son pouvoir et à rester proche du terrain ce qui permet également de contrecarrer l’influence grandissante des nationalistes hindous au Kerala.

Pour un œil occidental, l’élection d’une jeune femme de 21 ans à la tête d’une grande ville d’Inde est surprenante. Comment se fait-il que le Kerala résiste aussi bien aux politiques nationalistes ?

Cela peut paraître contre-intuitif effectivement mais dans le fond, c’est assez logique. Chaque État en Inde a son identité propre et une trajectoire politique particulière, bien qu’elles convergent pour former une identité indienne composite. Le Kerala est tourné vers la mer et le commerce. C’est une région qui connaît un certain brassage de population, notamment parce qu’ils ont beaucoup d’échanges avec les pays du golfe Persique. La répartition démographique joue également un rôle car le Kerala est moins déséquilibré que d’autres États avec une présence importante de chrétiens et de musulmans où règne une certaine harmonie interconfessionnelle. Tous ces éléments expliquent un climat social un peu plus pacifié que dans le reste du pays. D’ailleurs, c’est au Kerala que le taux d’alphabétisation est le plus élevé, avec plus de 95%, grâce à des investissements massifs dans l’éducation, notamment dès le primaire, depuis les années 50-60. Enfin, nous parlons également de l’État le plus avancé du pays en matière d’IDH [Indice de Développement Humain ; ndlr]. C’est ainsi que l’on arrive à avoir une jeune femme à la tête de Thiruvananthapuram sans que cela choque. Mais il existe tout de même un hiatus entre le pouvoir local et national. Les dirigeants du Kerala sont en porte-à-faux avec Modi.

Comment se traduisent ces dissensions avec New Delhi ?

Un exemple frappant du fossé entre New Delhi et le Kerala est l’affrontement qui a eu lieu autour du temple de Sabarimala, où les femmes n’ont pas le droit de rentrer. Certaines ont voulu braver l’interdiction, estimant qu’en tant que citoyennes, il n’y avait aucune raison pour qu’elles ne puissent exercer leur libre circulation sur le territoire indien. Des affrontements ont eu lieu devant le temple et un débat public fut amorcé en automne 2018 entre le gouvernement local communiste, qui soutient ces femmes, et New Delhi dont le ministre de l’Intérieur soutenait les tenants de la tradition et du patriarcat. En janvier 2019, une chaîne humaine de 620 km de femmes s’est formée pour protester contre cette interdiction, un mouvement de sororité qui a dépassé les clivages religieux et les questions de castes. Avec ce type d’événement, le Kerala apparaît comme un laboratoire d’idées pour le reste de l’Inde et fait figure d’exception.

De leur côté, les nationalistes hindous essayent de polariser l’échiquier politique local, notamment en poussant des argumentaires religieux. Mais aux dernières législatives régionales, sur les 140 députés élus, seul un venait du Bharatiya Janata Party [BJP, parti du président Narendra Modi ; ndlr]. L’idéologie hindoue ne prend pas, même s’ils essayent d’investir ce territoire via des manifestations locales mais il est compliqué de porter un discours de clivage religieux, de fierté ethno-religieuse et d’exclusion dans une région où les femmes sont aussi alphabétisées que les hommes.

Quels sont les défis qui attendent Arya Rajendran ?

La première chose dont elle devra s’occuper est le Covid-19. La spécificité de la région est l’emploi d’une bonne partie des habitants dans le Golfe. Cela pose des questions de mobilité, de rapatriement, de traitement des ouvriers indiens à l’étranger et de retour des devises. Il faudra également régler des problèmes d’accès à l’eau ou encore sanitaires et alimentaires.

Est-ce que sa victoire peut avoir des conséquences dans le reste du pays, à la fois politiques mais aussi sociales, on pense notamment à la place des femmes ?

Cette élection ne peut pas augurer une vague rouge en Inde. Ce n’est pas non plus un épiphénomène, mais bien quelque chose de local, dans la continuité de la tradition politique du Kerala. D’ailleurs, Rajendran est la troisième femme à la tête de la municipalité. C’est surtout son âge qui est frappant. Mais il est intéressant de noter qu’elle continue ses études à la fac après l’obtention de sa licence de mathématiques, un domaine encore très largement dominé par les hommes. Concrètement, je ne pense pas que cela ouvre une voie, ni que cela traduit un phénomène d’ampleur nationale. En revanche, elle incarne un modèle, une possibilité pour les jeunes femmes de faire de la politique, d’étudier les sciences et même de continuer leurs études en travaillant. Plus il y aura de personnes comme elle, plus les femmes en Inde, mais également dans le monde, se porteront mieux.

À LIRE AUSSI : Inde : une femme enceinte meurt après avoir été refoulée de 8 hôpitaux en 15 heures

What do you think?

2730 points
Upvote Downvote

Comments

Laisser un commentaire

Loading…

0

La pépite : Choose est un concept store qui permet d’accéder à des ventes événements tous les jours depuis son mobile, par Lorraine Goumot – 07/01

La Géorgie, théâtre de l’ultime défaite de Donald Trump – Le Point

Back to Top

Add to Collection

No Collections

Here you'll find all collections you've created before.