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Arras prend le parti du jeu vidéo pour renouer le dialogue avec les jeunes

Le parquet en chêne massif grince. La maîtresse des lieux s’inquiète de savoir si le réseau électrique tiendra. A travers les immenses fenêtres, le soleil de décembre surexpose un cartel abandonné, témoin du carton de tapisserie accroché il y a peu encore à ces murs crème. « Les envoyés du calife Haroun-al-Raschid offrant une horloge à Charlemagne », par Jacob Jordaens (1593-1678).

Nous sommes, ce 10 décembre, dans le salon d’un des joyaux du patrimoine arrageois. Et si le cadeau du calife des Mille et une nuits a disparu, parti en restauration, d’autres horloges troublent à haute fréquence le calme de la médiathèque Saint-Vaast. L’association Initiative Grand Arras organise en effet dans cette ancienne abbaye « Arras Passion Digitale », une journée de tournois e-sport, concerts et tables rondes pensée pour transformer la pratique du jeu vidéo en projet pro. L’un des nombreux événements qui rythment les journées des gamers dans la Belle endormie du Pas-de-Calais. Ici, les institutions misent de longue date sur le jeu vidéo pour dialoguer avec leurs plus jeunes administrés.

Territoire innovant

Déjà au début des années 2010, Arras accueillait un tournoi d’e-sport, rappelle Nathalie Gheerbrant alors adjointe au maire à l’Education. « L’e-sport est une pratique ludique de jeux vidéo en réseau particulièrement appréciée des jeunes à laquelle peu de collectivités locales s’intéressent aujourd’hui », écrivait la ville dans son dossier de candidature au concours national Territoire innovant en 2021. Concours qu’elle a remporté grâce à son utilisation de l’e-sport comme outil d’inclusion et d’éducation en direction des quartiers prioritaires.

« Un des objectifs, c’était de repérer des jeunes qui avaient décroché, passaient des heures à pratiquer et, donc, avaient développé des compétences. Nous pouvions les aider à tirer profit de tout ça », ajoute Nathalie Gheerbrant, à présent vice-présidente de la Communauté urbaine en charge du développement économique. Et tant pis si pour beaucoup à l’époque, le jeu était davantage perçu comme une perte de temps ou un danger : « On se rendait compte de cette crainte des écrans chez certains, de l’inquiétude face aux jeux, mais également des enjeux réels autour de la malbouffe, de la sédentarité et de l’isolement pour ceux qui pratiquent le plus. Il fallait qu’on prenne cette voie-là et qu’on se penche sur ces sujets », abonde l’adjointe au maire en charge de la transition numérique, Evelyne Beaumont.

Un pôle jeu vidéo dans chaque médiathèque

« Le gaming nous permet de parler de tous ces sujets avec un public jeune qui ne vient pas à nos autres événements, ne lit pas nos magazines, ne consulte pas nos réseaux », prédisait la veille de l’événement Pierre Ferrari, directeur du numérique de la Communauté urbaine.

Les faits lui donnent raison… Ce samedi matin, les jeunes s’agglutinent derrière les tours lumineuses des ordinateurs. Plus nombreux pour soutenir leurs copains en finale du tournoi de Fifa ou de Rocket league qu’aux tables rondes, certes, mais très à l’aise dans le cadre pourtant imposant de l’abbaye. « On a ici des jeunes qui n’auraient pas franchi les portes de la médiathèque parce qu’ils pensaient qu’ils n’auraient rien à y trouver », estime Olivia Minne-Segui, directrice adjointe du pôle culturel.

Ils y reviendront sans doute, car à Arras, chaque médiathèque a son pôle vidéo. La semaine précédente, le pôle Verlaine accueillait un tournoi d’e-sport. Pour la journée mondiale du jeu vidéo, c’est la ludothèque Ronville qui organisera son festival. Chaque centre a d’ailleurs sa spécialité : rétrogaming, jeu de console, jeux en réseau…

Unis par un même maillot

C’est justement par le jeu en réseau que Valentin Tiquet a commencé. A Arras Passion Digitale, il est l’un des nombreux participants à arborer le magnifique maillot noir et or du club local d’e-sport. Mais il est le seul à avoir le mot Président floqué au dos. Le jeune Arrageois a créé son association Obsession Gaming en 2017 dans l’espoir d’un jour monter un événement. Contacté par la mairie, il décroche rapidement une subvention, ajoute au nom de son asso celui de sa ville, et au plastron de son maillot le beffroi symbole de la région. Obsession Arras Gaming est née. Deux mois après, l’asso, devenue le fer de lance de la politique locale en matière de jeu vidéo, organise un premier tournoi de FIFA au Pharos, le centre culturel de l’agglo. Suivi de beaucoup d’autres…

« On organise aussi des ateliers de sensibilisation, de découverte, etc. Notre but c’est que les jeunes puissent se retrouver et partager leur passion, explique Valentin « Disco » Tiquet. Quand je les vois qui entrent, découvrent la salle les yeux émerveillés et commencent à s’entraîner… Franchement, j’adore. »

Valentin Tiquet (à gauche) à l'entraînement sur Rocket League, en ouverture d'Arras Passion Digitale
Valentin Tiquet (à gauche) à l’entraînement sur Rocket League, en ouverture d’Arras Passion Digitale – 20 Minutes

30 tournois à 17 ans

Le tournoi majeur du jour se déroule sur FIFA. Pas forcément parce que le soir même la France défie l’Angleterre en quarts de la coupe du monde. Plutôt parce que ce jeu est l’un des plus pratiqués par le public cible.  « Tout le monde ne dispose pas d’un PC Gamer capable de faire tourner de gros jeux dans de bonnes conditions, commente Stéphane Efoua, directeur adjoint de Réseau Initiative Grand Arras. Les Playstation 4 et les Xbox sont beaucoup plus accessibles, et le jeu FIFA extrêmement populaire auprès des jeunes des quartiers d’Arras. Ce sont eux qu’on vise en priorité aujourd’hui… »

Sylvain Regnier vient d’un peu plus loin – Lens, à 20 km de là – mais il connaît bien les problématiques des gamers. L’asso qu’il préside, Holiday Geek Club, organise le tournoi de Rocket League d’Arras Passion Digitale. Il a également monté un stand de Mario Kart Live, de petits bolides en plastique qui avalent le parquet à en faire trembler les lambourdes. Son trentième tournoi organisé. Pas mal, à 17 ans. Il a fondé sa junior association il y a trois ans et ne compte pas s’arrêter là, travaillant actuellement à l’organisation d’un tournoi national de Fortnite. Et réfléchit à l’international…  « A terme, j’aimerais transformer l’association en entreprise », confesse-t-il. A Arras la Belle endormie, le jeu vidéo a éveillé bien des envies…

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